C'est l'histoire d'une rupture amoureuse, une nuit, à Tokyo. C'est la nuit où nous avons fait l'amour ensemble pour la dernière fois. Mais combien de fois avons-nous fait l'amour ensemble pour la dernière fois ? Je ne sais pas, souvent.
Extrait
J'avais fait remplir un flacon d'acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi en permanence, avec l'idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu'un. Il me suffirait d'ouvrir le flacon, un flacon de verre coloré qui avait contenu auparavant de l'eau oxygénée, de viser les yeux et de m'enfuir. Je me sentais curieusement apaisé depuis que je m'étais procuré ce flacon de liquide ambré et corrosif, qui pimentait mes heures et acérait mes pensées. Mais Marie se demandait, avec une inquiétude peut-être justifiée, si ce [...] n'était pas dans mes yeux à moi, dans mon propre regard, que cet acide finirait. Ou dans sa gueule à elle, dans son visage en pleurs depuis tant de semaines. Non, je ne crois pas, lui disais-je avec un gentil sourire de dénégation. Non, je ne crois pas, Marie, et, de la main, sans la quitter des yeux, je caressais doucement le galbe du flacon dans la poche de ma veste.
Avant même qu'on s'embrasse pour la première fois, Marie s'était mise à pleurer. C'était dans un taxi, il y a sept ans et plus, elle était assise à côté de moi dans la pénombre du taxi, le visage en pleurs, que traversaient les ombres fuyantes des quais de la Seine et les reflets jaunes et blancs des phares des voitures que nous croisions. Nous ne nous étions pas encore embrassés à ce moment-là, je ne lui avais pas encore pris la main, je ne lui avais pas fait la moindre déclaration d'amour - mais ne lui ai-je jamais fait de déclaration d'amour ? - et je la regardais, ému, désemparé, de la voir pleurer ainsi à mes côtés.
La même scène s'est reproduite à Tokyo il y a quelques semaines, mais nous nous séparions alors pour toujours. Nous ne disions rien dans ce taxi qui nous reconduisait au grand hôtel de Shinjuku où nous étions arrivés le matin même, et Marie pleurait en silence à côté de moi, elle reniflait et hoquetait doucement contre mon épaule, elle essuyait ses larmes à grands gestes...
La robe en miel était le point d'orgue de la collection automne-hiver de Marie. A la fin du défilé, l'ultime mannequin surgissait des coulisses vêtue de cette robe d'ambre et de lumière, comme si son corps avait été plongé intégralement dans un pot de miel démesuré avant d'entrer en scène. Nue et en miel, ruisselante, elle s'avançait ainsi sur le podium en se déhanchant au rythme d'une musique cadencée, les talons hauts, souriante, suivie d'un essaim d'abeilles qui lui faisait cortège en bourdonnant en suspension dans l'air, [...] aimanté par le miel, tel un nuage allongé et abstrait d'insectes vrombissants qui accompagnaient sa parade. Nue est le quatrième et dernier volet de l'ensemble romanesque Marie Madeleine Marguerite de Montalte, qui retrace quatre saisons de la vie de Marie, créatrice de haute couture et compagne du narrateur (Faire l'amour, hiver, 2002 ; Fuir, été, 2005 ; La Vérité sur Marie, printemps-été, 2009 ; Nue, automne-hiver, 2013).
Pourquoi m'a-t-on offer un téléphone portable le jour même de mon arrivée en Chine ? Pour me localiser en permanence, surveiller mes déplacements et me garder à l'oeil ? J'avais toujours su inconsciemment que ma peur du téléphone était liée à la mort - peut-être au sexe et à la mrt - mais, jamais avant cette nuit de train entre Shangai et Pékin, je n'allais en avoir l'aussi implacable confirmation.
A chaque fois que je voyage m'étreint une très légère angoisse au moment du départ, angoisse parfois teintée d'un doux frisson d'exaltation. Car je sais qu'aux voyages s'associe toujours la possibilité de la mort - ou du sexe (éventualités hautement improbables évidemment mais néanmoins jamais tout à fait à exclure).
L'orage, la nuit, le vent, la pluie, le feu, les éclairs, le sexe et la mort. Plus tard, en repensant aux heures sombres de cette nuit caniculaire, je me suis rendu compte que nous avions fait l'amour au même moment, Marie et moi, mais pas ensemble.
Depuis le début des années 2000, j'ai fait de nombreux voyages en Chine, je me suis rendu à Pékin, à Shanghai, à Guangzhou, à Changsha, à Nankin, à Kunming, à Lijiang. Rien n'aurait été possible sans Chen Tong, mon éditeur chinois. La première fois que j'ai rencontré Chen Tong, en 1999, à Bruxelles, je ne savais encore quasiment rien de lui et de ses activités multiples, à la fois éditeur, libraire, artiste, commissaire d'exposition et professeur aux Beaux-Arts. Ce livre est l'évocation de notre amitié et du tournage de [...] mon film The Honey Dress au c'ur de la Chine d'aujourd'hui. Mais, même si c'est le réel que je romance, il est indéniable que je romance.